Les fourberies de l'escarpin
Chère Madame Royal,
Qu'il est bon de vous entendre renouveler le débat politique. Finies les discussion sans fin sur le chômage ou l'environnement, alors que tout le monde sait bien que l'Etat ne peut rien y faire. Enfin, on parle des problèmes des vrais gens comme moi. A ce titre, je rencontre, dans ma vie quotidienne, une discrimination que vous ne manquerez pas d'abattre dès votre élection. Je chausse du 48 et demi.
Ce fait de la nature, contre lequel je ne peux rien, m'expose à deux quolibets fréquents mais toujours douloureux dès que j'entre chez un maître bottier.
D'abord, dès que le vendeur s'approche, alors qu'il vient à peine de prononcer la phrase sempiternelle mais bienveillante "je peux vous aider ?", mes lèvres tremblent, la honte paralyse ma langue et de ma bouche sort une phrase piteuse, cachée par mes yeux baissés : "vous avez du 48 ?". S'en suivent, au choix du tortionnaire, un franc ricanement, un sourire amusé, ou ce pétillement dans les yeux propres aux enfants que l'on promène près de la galerie des monstres dans les fêtes foraines. Une réponse négative tombe, invariablement.
Vous me direz, en fine connaisseuse de la réalité de notre vie, qu'il existe des magasins spécialisés où l'on accueille les "gens comme moi". Voilà bien une solution que ce ghetto moderne dans lequel on nous enferme ! Entre gens difformes, donc, nous pouvons nous retrouver. Mais ne croyez pas que ces lieux clos permettent de trouver une solution à mon problème.
En effet, même dans une botterie spécialisée, il est fréquent que mes orteils soient à l'étroit dans le modèle 48 et qu'ils flottent dans le 49. La diversité des pointures permise par l'heureuse mondialisation ne change rien à l'affaire : l'américain 13 m'est trop petit, quand le 14 est trop large. A part les charentaises de l'auguste région aux destinées de laquelle vous présidez, aucun soulier ne convient à mon pied.
Comme il ne sert à rien de se plaindre sans proposer une solution, je vous soumets, en tant que citoyen-expert, un projet de réforme efficace. Issu tout droit du pragmatisme dont vous êtes l'incarnation, le principe est le suivant : moduler les cotisations sociales payées par les chefs d'entreprise des magasins de chaussure en fonction de la quantité de pointures discriminées qu'ils détiennent en stock. On peut même aller jusqu'à une exonération totale de cotisations lorsque la proportion de paires inférieures au 32 pour les hommes et 30 pour les femmes, et supérieures au 47 pour les hommes et 45 pour les femmes est de 26% ou plus. Pourquoi 26% ? C'est un peu compliqué et je suis un citoyen-expert, donc je ne veux pas ennuyer mes concitoyens avec des détails techniques.
Mesure plus révolutionnaire encore, le crédit d'impôt sur les sociétés lorsque lesdits magasins disposent de plus de 34% de mocassins demi-pointures, afin d'adapter l'offre à la demande. Après tout, être de gauche, c'est combattre les discriminations par une régulation de l'économie de marché, non ? Voilà, vous en conviendrez, une mesure plus sociale que les sandales de plage de Nicolas Sarkozy.
Philippe,
Citoyen-expert